Saga familiale : La boucherie Chevallereau
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Poursuivons notre tour d’horizon des héritages familiaux noirmoutrins.
C'est au tour de la famille Chevallereau de nous narrer l’histoire de leur boucherie.
Un commerce qui est devenu petit à petit une institution, un véritable acteur des saveurs de vacances sur l'île de Noirmoutier. Découvrons leur histoire...
L’histoire du commerce familial commence en mars 1962.
À l’époque, Gaëtan Chevallereau, travaille à Saint-Jean-de-Monts chez un grossiste en viande, et sa femme Janine est vendeuse en boucherie. Ils décident de s’installer à leur compte , et visitent un commerce situé au numéro 40 de la Grande Rue de Noirmoutier-en-l’île, “Le bout du monde” se dit alors le couple. Mais le coup de cœur ressenti à l’époque face à cette belle devanture finit de les convaincre de se lancer dans ce projet un peu fou. En y repensant, Mr Chevallereau nous confie que si c’était à refaire aujourd’hui, cela serait beaucoup plus compliqué.
Les premières années ne sont pas faciles : les hivers sont durs avec une faible fréquentation du centre-ville, et des conditions de vie plutôt rudes. Gaëtan, âgé de 25 ans lors de la reprise du commerce, se souvient de leur lit sous le toit, seulement protégé par une bâche.
Ce qui a également poussé les deux entrepreneurs à démarrer ce projet, c’est l’envie de travailler la viande, ce qui représente l’essence même du métier de Gaëtan Chevallereau. Son apprentissage à l’âge de 14 ans lui donne le goût du métier de boucher, une véritable passion se manifeste alors et déjà, une sensibilité pour la viande de qualité se révèle. Sensibilité développée à l’âge de 18 ans, lorsque le jeune Gaëtan part travailler à Paris, en locomotive à vapeur, se souvient-il. Il se rappelle aussi de son premier jour dans la capitale, où il se demande ce qu’il peut bien faire ici, à faire des allers-retours entre La Villette et Argenteuil. Ce n’est que plus tard qu’il comprendra l’importance de ces deux années passées à Paris, dont il garde aujourd’hui de très bons souvenirs. C’est en effet avec une jolie nostalgie qu’il se remémore ses deux années passées là-bas. Car c’est de par cette expérience qu’il découvre le cœur du métier de boucher, et aussi là où il a progressé dans sa profession en découvrant les gestes du métier, en apprenant à “sentir le produit”, à “faire de l’art sans se prendre pour un artiste”. Après l’Algérie, il décide de travailler à Nantes, dans l’ouverture d’une grande surface pendant 8 à 10 mois.
En évoquant la reprise de l’affaire et les premières années passées à installer la boucherie, Gaëtan et Janine nous parlent de leur insouciance de l’époque, époque pour laquelle ils n’éprouvent aucun regret, puisqu’il paraît clair que les décisions ont toutes été prises en suivant leur cœur, et assumées grâce à leur motivation et le goût pour le travail bien fait. Quand ils ont commencé, les abattoirs se trouvaient en centre-ville, il y en avait d’ailleurs deux dans la Grande Rue. Ce n’est qu’en octobre 1971 que les abattoirs locaux disparaissent au profit de celui de Challans. Jusqu’en 1987, c’est Mr Chevallereau qui choisit ses bêtes directement à la ferme. Aujourd’hui, les viandes s’achètent auprès de l’abattoir et chez les grossistes en viande référencés “Label Rouge” et “Vendée Qualité”.
Au fil des années, le magasin s’agrandit, le terrain aussi, et bientôt le “laboratoire” prend forme. L’espace rôtisserie s’installe à l’extérieur sur le trottoir, sous un barnum. A l’époque, les commandes passent le carnet d’achat de bêtes entre le paysan et le commerçant, le livre de chevilles (nom donné du fait du nom du grossiste de l’époque : Chevillard), le livre de prise en charge pour ramener la bête à l'abattoir et enfin le livre d’abattoir pour la traçabilité.
En 1971, à l’ouverture du pont, les boucheries subissent un ralentissement d’activités avec notamment l’arrivée des grandes surfaces. En Vendée, on passe de 240 boucheries à aujourd’hui une cinquantaine, en quelques années seulement. Comme dit Gaëtan Chevallereau, il a fallu “se bagarrer” pour faire face à l’arrivée massive de ces grandes surfaces sur l’île de Noirmoutier. Cependant, ce qui sauvera le commerce des Chevallereau, c’est la qualité de leurs produits, incomparables à celle des viandes en supermarché ?
La qualité, mais aussi le service. Car, pour eux, ce qui différencie grandement le commerce de proximité des grandes surfaces, c’est l’accueil et le conseil client. Une proximité et une confiance s’installent effectivement dès les premières années de la boucherie. Les demandes et les habitudes des clients sont satisfaites et cela plaît énormément, ils bénéficient également des conseils et du savoir-faire des experts.
Certains clients payaient au mois, on se basait sur une relation de confiance.
Le magasin à Noirmoutier-en-l’île a toujours été ouvert à l’année. Et pour compenser le ralentissement d’activité en hiver, le couple décide d’ouvrir un second magasin sur la place des Halles à Challans, sur le continent.
Mais bientôt, l’année 1996 apporte son lot de difficultés économiques avec l’apparition du virus de la vache folle. Le commerce subit une perte de 15% de vente cette année-là. Et pourtant, les Chevallereau débordent d’envie de poursuivre leur métier et travaillent dur pour obtenir en 1996, le “Label Rouge” reconnu par l’organisme certificateur vendéen Vendée Qualité. Déjà, le bœuf estampillé “Label extra” apporte une certaine notoriété à l’établissement, qu’on leur reconnaît toujours aujourd’hui.
Qualité, confiance, proximité et service dévoué : les ingrédients indispensables au succès de la boucherie Chevallereau qui bientôt compte 5 points de vente l’été (certains se souviendront de celui des Sableaux jusqu’en 1987).
Celles qui s’en souviennent parfaitement, ce sont les deux filles du couple de commerçants : Karine et Fabienne. Enfants, elles déambulaient déjà dans le magasin mais aussi dans l’abattoir ou encore au laboratoire, ce qui très tôt a suscité chez elles un réel sens du contact auprès des clients, et du travail bien fait. Fabienne, l’aînée, apporte son aide au magasin et au service traiteur, notamment sur des mariages. Une activité exercée jusqu’à Saint-Jean-de-Monts de 1986 à 2010. Pendant 4 à 5 ans, elle travaille auprès de ses parents en tant que saisonnière tout en suivant des études de comptabilité à Nantes. Puis, en mars 1998, les parents Chevallereau se posent la question de vendre le commerce lorsque leurs filles leur soufflent l’idée : “Si vous restez encore un peu, nous prendrons la suite”. Une idée qui séduit Gaëtan et Janine, prêt à vendre sans pour autant en avoir l’envie car, selon eux : “cela aurait été un crève-cœur”.
Au fil des années, les filles Chevallereau apprennent le métier et le savoir-faire familial auprès de leurs parents qui très vite leur transmettent leur passion. Ensemble, ils continuent de développer l’activité du magasin et d’innover. Aujourd’hui, les parents restent effectivement très impliqués dans la vie du commerce : Janine continue de servir les clients, qui pour certains la connaissent très bien. Gaëtan quant à lui est dans les coulisses, il gère les commandes de viande et cela lui convient : “il y a un âge pour tout, je ne suis plus très à l’aise devant les gens” nous confie-t-il très humblement. La clientèle a évolué, mais il reste aussi quelques fidèles clients qui ont connu le commerce à ses débuts. La famille se répartit les différents services de l’établissement, et cette organisation leur permet une réelle ambiance conviviale et familiale : chacun sait ce qu’il a à faire, et tous se retrouvent dans un objectif et une passion commune ; voilà le moteur de la famille Chevallereau. Elle a aussi su s’entourer de personnes partageant cette vision : d’où cette équipe fiable qui s’entend à merveille au 40 Grande Rue. Et en effet, l’équipe se compose aujourd’hui de 11 personnes, et 22 en période estivale, pour assurer la vente sur les marchés et au magasin.
Il faut savoir être prêt et s’adapter !
Les journées ne sont pas faciles, et débutent à 4h du matin par la livraison de la viande. C’est en réalité une famille de travailleurs acharnés qui nous raconte aujourd’hui son parcours. “On ne compte pas nos heures” expliquent en cœur le père et la fille. “Dans nos vies, on fait principalement des journées de 18 heures”, et malgré la pénibilité de ce mode de vie, tous s’accordent à dire qu’ils ne voudraient pas vivre autrement. Le père regarde alors sa fille et lui lance “Tu te rends compte ? ça fait 60 ans qu’on est là !” comme si le temps était passé à une vitesse folle et que les parents n’avaient rien perdu à leur motivation et leur envie de départ, il y a 60 ans.
S’il est une activité commune à toute l’équipe, c’est l’élaboration de nouvelles recettes pour l'espace Traiteur du magasin. En plus des plats traditionnels vendéens (rôti vendéen, plat à base de salicorne, de pommes de terre ou de sel de Noirmoutier…), les Chevallereau s’efforcent à innover pour constamment séduire et surprendre leurs clients qui pour certains d’entre eux, se rendent tous les jours à la boucherie. Bien sûr il faut suivre les tendances gastronomiques pour continuer à plaire et à attirer “Si on ne sait plus innover, c’est qu’il faut arrêter”. Et au vu de la créativité de l’équipe, on peut parier que les sœurs Chevallereau ne sont prêtes de raccrocher leur tablier !
En rejoignant les portes de l’établissement, nous ne pouvons nous empêcher de remarquer l’écriteau “Maison Chevallereau”. Notre curiosité nous pique à demander aux deux sœurs ce que cela représente pour elles. Elles expliquent alors qu’elles se sentent ici chez elles, comme à la maison. Et qu’il en est de même pour les clients. Combien de fois ont-elles surpris leurs clients dire “Nous nous rendons chez Chevallereau”, comme l’on se rend chez un proche. Une jolie symbolique qui confirme que l’esprit et le savoir-faire de la boucherie sont restés intacts durant toutes ces années, et que la passation entre les parents et les filles ne se résume pas seulement à la technique ou au métier de boucher, mais aussi à l’état d’esprit de commerçants humbles, travailleurs et loyaux.